Hammarbya paludosa (Malaxis des tourbi�res) Donn�es in�dites sur Hammarbya paludosa (L.) O. KUNTZE dans le Massif armoricain. (Article publi� dans l'Orchidophile n� 149, d�cembre 2001) Fran�ois SEITE & Jos� DURFORT R�sum� : Notes et observations, accumul�es depuis dix ans en Bretagne, sur quelques aspects de la biologie du Malaxis des tourbi�res (Hammarbya paludosa) : d�mographie, biom�trie, ph�nologie, reproduction, �cologie. INTRODUCTION
En 1990, une Orchid�e rarissime des tourbi�res � sphaignes, Hammarbya paludosa, �tait red�couverte dans le Finist�re o� elle �tait pr�sum�e disparue. Depuis, des recherches m�ticuleuses nous ont permis d�y d�couvrir d�autres stations. Au cours de ces 10 derni�res ann�es, nos observations et les suivis r�alis�s sur les 10 sites que compte actuellement le Massif armoricain (Finist�re, C�tes-d�Armor et Loire-Atlantique), nous ont permis de mieux cerner quelques �l�ments de connaissance de cette esp�ce :
Ce sont ces donn�es, pour la plupart in�dites, que nous nous proposons de d�velopper ici. DISTRIBUTION FRANCAISE ACTUELLE Esp�ce circumbor�ale, le Malaxis des tourbi�res (Hammarbya paludosa) se rencontre en Europe du Nord, en Europe moyenne, dans l�ouest de la Sib�rie, en Asie centrale, au Japon, en Alaska et au Canada. En France, il a beaucoup r�gress� depuis un si�cle, et de nombreuses stations ont disparu du fait de la destruction de son biotope exclusif, la tourbi�re acide � sphaignes.
Actuellement, 7 d�partements situ�s dans le Massif armoricain, le Massif central et les Vosges abritent encore cette raret� :
Le Massif armoricain constitue le bastion de l�esp�ce, et le d�partement du Finist�re abrite � lui seul 75 % de la population fran�aise actuellement connue, dans l�unique r�gion des Monts d�Arr�e. DEMOGRAPHIE : ANALYSE DES POPULATIONS BRETONNES
De 1993 � 2000, nous avons d�nombr� le plus pr�cis�ment possible les diff�rentes populations bretonnes de Malaxis, que nous avons piquet�es � l�aide de b�tonnets en plastique de diff�rentes couleurs, bleus pour les pieds florif�res, et blancs pour les non fleuris, en inspectant chaque station plusieurs fois au cours de la saison. Ce travail long et fastidieux, vu la taille minuscule et l�homochromie de la plante, nous a permis de suivre les fluctuations des effectifs selon les ann�es. Chaque population r�agit diff�remment au cours d�une m�me ann�e : les stations situ�es en bas de pente, o� l�eau stagne davantage, sont favoris�es les ann�es s�ches ; inversement, celles situ�es � mi-pente, donc mieux drain�es du fait de la d�clivit� du terrain, ont de meilleurs effectifs les ann�es humides, alors que les pr�c�dentes subissent une inondation prolong�e, pr�judiciable au d�veloppement de l�esp�ce, qui est bien connue pour son caract�re de � plante � �clipses �, ph�nom�ne que nos comptages ont bien mis en �vidence. Les fluctuations peuvent �tre tr�s importantes, et si les conditions sont d�favorables, la plante peut ne pas fleurir, ou m�me demeurer � l��tat de pseudobulbe (sans feuille), ind�tectable parmi les sphaignes. En 1998, 1999 et 2000, dans 3 tourbi�res du Finist�re, nous avons entrepris de suivre les pieds pr�sents sur des carr�s permanents de 50 cm de c�t�. Nous les avons rep�r�s pr�cis�ment afin de surveiller leur devenir, pour voir s�ils r�apparaissent, s�ils refleurissent, et s�il y en a de nouveaux. Pour parvenir � des conclusions valables, ce suivi devra se poursuivre plusieurs ann�es encore.*
*(Le r�sultat de nos relev�s sur 5 ans, de 1998 � 2002, montre clairement que les plants peuvent ne pas fleurir certaines ann�es, puis refleurir ; les pieds adultes peuvent vivre et fleurir au moins 5 ans ; ils peuvent "s'�clipser" certaines ann�es, puis �tre visibles � nouveau). ELEMENTS DE BIOMETRIE
De 1993 � 2000, nous avons mesur� �galement la hauteur des pieds fleuris dans les diff�rentes stations du Massif armoricain, en excluant les plants mal form�s, ab�m�s ou mutil�s par les limaces, redoutables pr�dateurs, soit au total un �chantillon de 746 pieds. En grande majorit�, ils mesurent de 3 � 10 centim�tres, la moyenne �tant comprise entre 6 et 7 cm ; des plants de plus de 12 cm sont tout � fait exceptionnels, 15 cm �tant le maximum observ�, et 2 cm le minimum. Ces chiffres correspondent � ceux annonc�s par DES ABBAYES pour le Massif armoricain, et par LANG pour les Iles britanniques. Ce qui frappe avant tout sur le terrain, c�est la taille minuscule de la plante. Les pieds fleuris sont d�j� peu visibles, mais ceux qui ne fleurissent pas sont encore plus difficiles � rep�rer ! PHENOLOGIE
La plante n�est pratiquement visible qu�en �t�. Ann�e apr�s ann�e, elle se d�place verticalement, contrairement aux autres Orchid�es europ�ennes qui ont un d�placement horizontal. De ce fait, elle est parfaitement adapt�e � la croissance des sphaignes sur lesquelles elle vit. Elle commence � se d�velopper en juin, � partir du pseudobulbe �labor� l�ann�e pr�c�dente, fleurit en juillet et en ao�t, parfois encore en septembre, tout en �laborant un autre pseudobulbe et en produisant des bulbilles au sommet des feuilles, et finit son cycle fin septembre en lib�rant les graines, pendant que les bulbilles se d�tachent des feuilles qui se dess�chent. La plante demeurera invisible jusqu�au mois de juin de l�ann�e suivante, o� un autre cycle recommencera. REPRODUCTION V�G�TATIVE
Fait unique chez les Orchid�es europ�ennes, � l�apex des feuilles Hammarbya paludosa produit des bulbilles qui, apr�s leur chute, peuvent � leur tour donner naissance � d�autres pieds clon�s. Ce mode de reproduction v�g�tative semble efficace, et on observe assez fr�quemment des groupes d�individus, parfois jusqu�� une vingtaine, issus probablement des bulbilles d�un m�me pied, qui se sont d�velopp�es sous lui, ou � proximit� imm�diate. Nous avons remarqu� que les jeunes plants produisent aussi des bulbilles, et qu�ils n�attendent donc pas l��ge adulte pour se reproduire de cette mani�re. REPRODUCTION SEXU�E La fleur d�Hammarbya paludosa subit une torsion de l�ovaire de 360�. De ce fait, le labelle se retrouve dirig� vers le haut, de m�me que le stigmate qui est situ� au-dessus des pollinies. Au nombre de 4, accol�es 2 � 2 et r�unies par un viscidium, elles ont l�aspect de larmes aplaties, jaun�tres ou verd�tres, d�aspect cireux, et mesurent 500 x 200 μm environ, donc quasiment invisibles � l��il nu !
Hammarbya paludosa est pollinis� par de minuscules dipt�res du groupe des N�matoc�res. Nous avons pu en observer quelques esp�ces diff�rentes qui fr�quentaient les fleurs de Malaxis, 4 de la famille des Mycetophilidae (Neuratelia sp, dont Phronia digitata) et une de celle des Sciaridae. Actifs par temps couvert ou crachin, ils �vitent les heures les plus chaudes de la journ�e s�il y a du soleil, et cessent toute activit� par grand vent ou forte pluie. L�insecte se pose sur les s�pales, qui servent de piste d�atterrissage, en particulier le s�pale � dorsal � situ� en position inf�rieure, et l�che avidement le labelle qui s�cr�te tr�s probablement du nectar, ou une substance analogue, le long de ses stries verd�tres. L�insecte introduit sa t�te au fond du labelle ; le viscidium touche alors le dessous du cou, et les pollinies y adh�rent ; le rostellum les emp�che d�entrer en contact avec le stigmate. Puis le dipt�re s�envole, avec son pr�cieux fardeau coll� sous sa t�te.
En visitant une autre fleur, cette fois les pollinies vont entrer en contact avec la surface stigmatique gluante et y adh�rer, assurant ainsi la f�condation. Si l�insecte ne transporte pas de pollinie, le dessous de sa t�te se colle parfois � la surface stigmatique, et il doit fournir des efforts pour pouvoir se lib�rer. Tout ceci est quasiment invisible � l��il nu, et ne peut se voir qu�� travers l�objectif macro d�un appareil photographique, car l�insecte ne mesure qu�environ 3 mm. A notre connaissance, ce mode tr�s particulier de pollinisation d�Hammarbya paludosa n�a encore jamais �t� d�crit. Dans le Massif armoricain, nous avons not� que le taux d�ovaires f�cond�s est bas, de l�ordre de 2 � 3 % seulement, rarement jusqu�� 10 %. La production de graines y est donc faible en g�n�ral ; trapues et assez carr�es, elles sont particuli�rement minuscules, et mesurent environ 250 x 200 μm.
ECOLOGIE En Bretagne, nous n�avons pas toujours rencontr� l�esp�ce dans le milieu o� elle est d�crite habituellement dans la litt�rature : les bords de mares en voie d�atterrissement. Nous l�avons observ�e � plusieurs reprises dans des tourbi�res de pente, parmi les sphaignes et dans des milieux satur�s d�eau, en compagnie de la Narth�cie, esp�ce typique des tourbi�res atlantiques ; c�est pourquoi nous avons r�alis� des relev�s phytosociologiques dans les diff�rentes stations d�Hammarbya paludosa du Massif armoricain pour essayer de caract�riser au mieux les biotopes susceptibles de l�h�berger.
L�analyse du tableau d�une quinzaine de relev�s effectu�s dans le Massif armoricain nous a montr� clairement la pr�f�rence �cologique de l�esp�ce pour des micro-habitats tourbeux tr�s engorg�s et oligotrophes. Plusieurs biotopes se d�gagent de ces observations :
R�alis�s sur de petites surfaces (certaines inf�rieures � l�aire minimale), les relev�s phytosociologiques ne peuvent servir � effectuer une typologie phytoc�notique pr�cise ; en revanche, ils nous ont permis de mieux cerner les habitats de l�esp�ce en comparant nos relev�s aux syntaxons d�crits du Massif armoricain (Touffet 69, Cl�ment 78). CONCLUSION Les tourbi�res � Hammarbya paludosa sont tr�s fragiles ; la plante est extr�mement sensible aux modifications du milieu. Le drainage, l�enr�sinement, les pollutions diverses et la d�gradation de la qualit� de l�eau sont fatals � cette esp�ce pionni�re. De m�me, l��volution naturelle de ses biotopes peut lui �tre d�favorable � long terme.
Dans le Massif armoricain, certaines tourbi�res qui l�h�bergent jouissent d�une protection et d�une gestion appropri�e par des associations de protection de la nature (S.E.P.N.B.-Bretagne Vivante, F.C.B.E.). Mais d�autres n�ont aucune protection, et il convient d��tre vigilants face aux menaces qui peuvent �ventuellement peser sur elles. Cette esp�ce, rappelons-le, est prot�g�e en France (annexe I). Nos donn�es accumul�es depuis 10 ans dans le Massif armoricain serviront peut-�tre, nous l�esp�rons, � mieux g�rer et prot�ger les quelques sites qui h�bergent encore cette Orchid�e et enrayer son d�clin dramatique en France depuis un si�cle. REMERCIEMENTS Nous remercions toutes les personnes qui nous ont aid�s dans la r�alisation de cet article, trop nombreuses pour �tre cit�es. Merci tout sp�cialement � Fr�d�ric BLANCHARD pour ses conseils et son analyse de nos relev�s phytosociologiques. BIBLIOGRAPHIE - ANNEZO N., MAGNANON S., MALENGREAU D., 1999. � La flore bretonne. Collection Les carnets de la Nature en Bretagne, Conservatoire Botanique National de Brest, 138 p. - BARGAIN B., BIORET F., MONNAT J.Y., 1991. � Orchid�es de Bretagne. Penn ar Bed 142-143 : 20-21, Brest. - BLANCHARD F., 1996. � Le Malaxis des marais (Hammarbya paludosa (L.) O. KUNTZE) : joyau floristique des tourbi�res fran�aises. L��cho des tourbi�res 1 : 10-11, Espaces naturels de France. - BOURNERIAS M. et al., 1998. � Les Orchid�es de France, Belgique et Luxembourg. Biotope, Montpellier, 416 p. - CORILLION R., 1956. � Sur deux localit�s nouvelles de Malaxis paludosa en Bretagne. Bulletin de la Soci�t� Botanique de France, 7-8 : 484-485. - DANTON P., BAFFRAY M., 1995. � Inventaire des plantes prot�g�es en France. Nathan, Paris, 294 p. - DARWIN C., 1862. � On the various contrivances by which British and foreign orchids are fertilized by insects, and on the good effects of intercrossing. Londres. - DELFORGE P., 1994. � Guide des Orchid�es d�Europe, d�Afrique du Nord, et du Proche-Orient. Delachaux et Niestl�, Paris, 480 p. - DES ABBAYES H., CLAUSTRES G., CORILLION R., DUPONT P., 1971. � Flore et v�g�tation du Massif armoricain, tome 1 : La flore vasculaire. Presse Universitaire de Bretagne, St Brieuc : 1152-1153. - DES ABBAYES H., CORILLION R., 1953. � R�partition et v�g�tation du Malaxis paludosa dans le Finist�re. Bulletin de la Soci�t� Botanique de France, 100, 7-9 : 354-358. - DURFORT J., 1990. � Red�couverte du Malaxis des tourbi�res dans les Monts d�Arr�e. Penn ar Bed 136 : 43-45, Brest. - GARNIER M. et al., 1997. � Tourbi�res et bas-marais. Penn ar Bed, n� sp�cial tourbi�res, 100 p. - JACQUET P., 1995. � Une r�partition des Orchid�es sauvages de France, 3�me �dition. Soci�t� Fran�aise d�Orchidophilie, Paris. - LANDWEHR J., 1983. � Les Orchid�es sauvages de France et d�Europe. Piantanida, Lausanne, 600 p. (2 tomes). - LANG D., 1989. � A guide to the wild Orchids of Great Britain and Ireland. Oxford University Press, 236 p. - LESOUEF J.Y., 1995. � Hammarbya paludosa (L.) O. KUNTZE. Livre Rouge de la flore menac�e de France : 225, Mus�um National d�Histoire Naturelle, Paris. - LESOUEF J.Y., 1999. � Les plantes menac�es de France, Actes du colloque de Brest (15-17 octobre 1997). Conservatoire Botanique National de Brest, Soci�t� Botanique du Centre-Ouest, n� sp�cial 19 : 499. - MANNEVILLE O. et al., 1999. � Le monde des tourbi�res et des marais, France, Suisse, Belgique et Luxembourg. Delachaux et Niestl�, Paris, 320 p. - MATHE H., PIERNE A., 2001. � Red�couverte d�Hammarbya paludosa (L.) O. KUNTZE dans les Vosges. L�Orchidophile 145 : 29-35, Soci�t� Fran�aise d�Orchidophilie, Paris. - SEITE F., 1993. � D�couverte d�une nouvelle station de Hammarbya paludosa dans les Monts d�Arr�e. E.R.I.C.A. 4 : 28-29, Brest. - SEITE F., DURFORT J., 1995. � Hammarbya paludosa : sa r�partition dans le Massif armoricain. E.R.I.C.A. 6 : 67-72, Brest. - SEITE F., LORELLA B., 2000. � Les Orchid�es sauvages de Bretagne. L�Orchidophile 142 : 115-120, Soci�t� Fran�aise d�Orchidophilie, Paris. - VISSET L., 1984. � Flore et v�g�tation. Penn ar Bed 117 : 66-67, Tourbi�res et bas-marais, Brest. |